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Paul Éluard (1895-1952) : vie et œuvre

Portrait de Paul Eluard

« J’ai la beauté facile et c’est heureux », écrit Paul Eluard dans son recueil poétique Capitale de la douleur, publié en 1926.

On a longtemps sous-estimé la poésie d’Eluard dans les parcours scolaires et les milieux littéraires trop classiques. Membre éminent du surréalisme, on a tendance à oublier la légèreté géniale de sa plume lorsqu’il s’agissait de parler d’amour ou de liberté. Car, surréaliste, il l’a certainement été. Mais libre, engagé et amoureux, bien plus encore.

Qui est Paul Eluard ?

Né à Saint-Denis, le 14 décembre 1895, Eugène Emile Paul Grindel (dit Paul Eluard), fils d’un comptable et d’une couturière, grandit dans une famille aux origines modestes. Dès son enfance, il montre une santé fragile.

Le jeune Paul Eluard vit une enfance heureuse et tranquille entre deux parents aimants. Il est scolarisé à l’école communale d’Aulnay-sous-Bois, avant que ses parents ne déménagent à Paris en 1908 (boulevard de la Chapelle) et qu’ils l’inscrivent à celle du 18e arrondissement.

Eluard, comme André Breton, ne suit pas des cours au lycée, mais entre en tant que boursier à l’Ecole municipale supérieure Colbert. Ici, nul enseignement de langues anciennes, mais des cours tournés vers la vie pratique et les sciences.

En 1911, Eluard tombe malade et doit interrompre ses études sans avoir passé le brevet élémentaire. Il passe deux ans dans un sanatorium suisse de Clavadel où il fait la rencontre d’une jeune étudiante russe qui changera sa vie – et celle de plusieurs autres figures littéraires de ce début de siècle : il s’agit de Helena Dimitrovnie Diakonov, dite Gala. Il l’épouse plus tard, en 1917.

Avant cela, Eluard a déjà commencé à écrire et à publier. Fin 1913, sous le nom de Paul-Eugène Grindel, il publie Premiers poèmes à compte d’auteur. Puis, début 1914, un second recueil, Les Dialogues inutiles.

En 1914, il est mobilisé comme infirmier, puis volontaire sur le front. A nouveau empêché par sa santé, il est longuement hospitalisé à l’hôpital Cochin. Meurtri par les visions d’horreurs de la guerre, cette période est marquée par l’ennui et la tristesse, qu’il trompe en lisant et en écrivant.

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L’homme surréaliste

En mai 1916, Éluard a un bref élan mystique et religieux et fait sa première communion. Cet épisode sera sans lendemain sur le plan de la foi. En août de la même année, toujours affecté comme infirmier dans un hôpital d’évacuation, Eluard polycopie les premiers exemplaires de ce qui deviendra son recueil Le Devoir et l’inquiétude, publié l’année suivante.

C’est à ce moment-là que le poète adopte définitivement son pseudonyme, Paul Eluard (en empruntant le nom de jeune fille de sa grand-mère maternelle). A l’issue de la guerre, il fait la connaissance de Louis Aragon, André Breton et Philippe Soupault. Ce sont ses premiers pas dans les cercles surréalistes.

D’abord entraîné dans le mouvement dada par un besoin instinctif de révolte après-guerre (il écrit Les Animaux et leurs hommes en 1920, puis Les Nécessités de la vie et les Conséquences du rêve en 1921), Paul Eluard rencontre Max Ernst, qui devient rapidement une figure essentielle de sa vie. Avec Gala, ils en viennent même à former une sorte de trouple, tous trois portés par leurs aspirations esthétiques et littéraires. Ils font leurs premières écritures à quatre mains.

Seulement, leur bonheur est de courte durée. En 1924, Eluard supporte de moins en moins la liaison qui s’est créée entre Gala et Max Ernst (bien qu’il l’ait tout d’abord acceptée). La même année, il publie Mourir de ne pas mourir qu’il dédie à André Breton. Puis, du jour au lendemain, Eluard disparaît, en emportant une grosse somme d’argent. 

Alors que tous les cercles littéraires sont en émoi et craignent le pire, on apprend quelques jours plus tard que Eluard a embarqué à Marseille et quitté la France pour un long voyage de sept mois jusqu’en Océanie. Plus tard, il qualifiera ce périple de « voyage idiot ».

De retour en France, fin 1924, Eluard retrouve les surréalistes et reprend la direction de sa revue, Proverbe, qu’il a fondée en 1920. Le titre de sa revue n’est pas anodin. Eluard conçoit le proverbe comme « un langage charmant, véritable, de commun échange entre tous ». La même année, Eluard adhère au Parti communiste

L’année 1926 marque un tournant dans la carrière poétique d’Eluard : il fait paraître son recueil Capitale de la douleur, qui l’établit comme une figure incontournable de la scène poétique parisienne. Durant les années qui suivent, Eluard est tout aussi prolifique : il travaille à une anthologie de poèmes français (Anthologie de la poésie du passé, 1951), puis publie L’Amour la poésie en 1929.

L’année suivante, il collabore avec Breton et René Char dans Ralentir travaux. Enfin, il publie La Vie immédiate (1932) puis La Rose publique (1934), des ouvrages considérés comme surréalistes. Entre-temps, Gala l’a quitté pour Salvador Dalí. En 1934, Eluard épouse son second amour et sa nouvelle égérie : Nusch.

Le poète résistant

Aux côtés de figures de son temps comme Aragon et Breton, Eluard s’engage dans toutes les manifestations dadaïstes et surréalistes. Son implication dans la vie de l’époque est à la fois esthétique, littéraire et politique. Il est engagé dans le combat révolutionnaire (on connaît ses affinités à gauche bien qu’il ait été exclu du Parti communiste en 1933) mais refuse catégoriquement la subordination de l’art à la politique.

C’est pourquoi il s’éloigne d’un poète comme Aragon, qu’il accuse de trop se soumettre au pouvoir moscovite. Pour autant, Eluard ne rechigne pas à se diriger vers une poésie engagée au moment de la guerre d’Espagne. C’est à ce moment-là qu’il rompt avec Breton et l’écriture automatique. C’est aussi un tournant dans la fonction qu’Eluard confère à sa poésie : désormais, sa conscience politique devient inséparable de sa conscience poétique.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Eluard s’engage dans la Résistance. Il anime le Comité national des écrivains en zone nord et renoue avec le Parti Communiste en 1942. La même année, il fait paraître Poésie et Vérité, recueil dans lequel figure l’un de ses plus fameux poèmes, Liberté :

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom […]
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.

Paul Eluard, Poésie et Vérité

À la Libération, l’enthousiasme gagne les cercles littéraires et Eluard qui, en 1943 (avec sa collaboration à L’Honneur des poètes) et en 1944 (avec Au rendez-vous des Allemands) avait continué sa production de poèmes militants, publie Poésie ininterrompue en 1946, où transparaît l’espoir d’une liberté renaissante.

Le bonheur est de courte durée, puisque Nusch meurt brusquement en 1947, après dix-sept années de vie commune. De ce drame personnel, il tire l’inspiration pour le recueil Le Temps déborde, dans lequel on trouve la présence de la mort, les thèmes de la rupture et de la dégradation. Voici un extrait du poème Notre Vie :

Notre vie disais-tu si contente de vivre
Et de donner la vie à ce que nous aimions
Mais la mort a rompu l’équilibre du temps
La mort qui vient la mort qui va la mort vécue
La mort visible boit et mange à mes dépens.

Paul Eluard, Le Temps déborde

Abattu moralement par la perte de Nusch, Eluard tombe dans une immense détresse, qui le pousse à initier un long voyage en Europe (de l’Italie à l’URSS en passant par le Pologne et par la Grèce). C’est à ce moment-là que d’un engagement d’abord limité au contexte de la Résistance, Eluard se tourne vers un engagement fraternel et touche à des thèmes plus universels.

En 1949, il tombe amoureux de Dominique, son troisième grand amour, sa troisième muse et sa dernière épouse. C’est à ses côtés qu’il retrouve le goût de vivre et qu’il retrouve aussi l’inspiration nécessaire pour écrire ses deux derniers recueils, Pouvoir tout dire et Le Phénix en 1951. Paul Eluard meurt le 18 novembre 1952, emporté par une crise cardiaque. 

Dans Pouvoir tout dire, Eluard a écrit ce qui aurait pu lui servir d’épitaphe : 

Le tout est de tout dire, et je manque de mots
Et je manque de temps, et je manque d’audace
Je rêve et je dévide au hasard mes images
J’ai mal vécu, et mal appris à parler clair.
Tout dire les roches, la route et les pavés
Les rues et leurs passants les champs et les bergers
Le duvet du printemps la rouille de l’hiver
Le froid et la chaleur composant un seul fruit
Je veux montrer la foule et chaque homme en détail
Avec ce qui l’anime et qui le désespère
Et sous ses saisons d’homme tout ce qui l’éclaire
Son espoir et son sang son histoire et sa peine
Je veux montrer la foule immense divisée
La foule cloisonnée comme un cimetière
Et la foule plus forte que son ombre impure
Ayant rompu ses murs ayant vaincu ses maîtres
La famille des mains, la famille des feuilles
Et l’animal errant sans personnalité
Le fleuve et la rosée fécondants et fertiles
La justice debout le pouvoir bien planté.

Paul Eluard, Pouvoir tout dire

L’œuvre de Paul Eluard

À Paris, dans les années vingt, c’est Paul Valéry qui se tient sur le devant de la scène poétique. Ses recueils, La Jeune Parque et Charmes, sont mis en avant dans les librairies et vantés par les revues littéraires.

Loin de l’écriture ampoulée héritée du Parnasse, Eluard prône quant à lui une écriture « facile » et revient à une poésie pure dans la juste veine de Rimbaud et de Baudelaire, réhabilitée par Apollinaire et les disciples surréalistes.

Facilité, dis-je, me voilà ramené droit à Eluard. En effet, des mots de cette ardente langue française, qui jamais ne fut aussi femme que lorsque c’était lui qui la couchait sur le papier, il en est peu qui lui appartiennent autant que celui-là sous la forme de l’adjectif dérivé.

André Pieyre de Mandiargues, Préface de Capitale de la douleur

Les femmes et les frères

« La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur… », écrit Eluard dans Capitale de la douleur.

La poésie de Paul Eluard oscille entre amour et engagement. Cette poésie de l’amour est aussi celle de l’évidence amoureuse telle qu’elle peut apparaître dans la difficulté de dire l’amour, la douleur d’aimer. Elle se construit autour des trois figures féminines qui ont marqué la vie du poète : Gala, Nusch et Dominique sont les pierres angulaires des recueils Capitale de la douleur (1926), L’Amour la poésie (1929) et Le Phénix (1951).

Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s’engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s’évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.

Paul Eluard, Capitale de la douleur

L’engagement amoureux d’Eluard est aussi un engagement « fraternel » qui, selon le poète, est la fonction première de la poésie. Lyrisme amoureux et lyrisme humain se mêlent dans les poèmes d’Eluard, passant de « l’horizon d’un homme à l’horizon de tous ».

Dans une intervention radiodiffusée en 1949, publiée ensuite dans l’ouvrage Les Sentiers et les routes de la poésie (1952), Eluard dialogue au sujet de la polyphonie poétique, et fait l’éloge des auteurs qui disent « nous », qui sont ceux « qui luttent, qui se mêlent à leurs semblables, même et surtout s’ils sont amoureux et courageux. La poésie est un combat ».

En écho à Lautréamont, selon lequel « la poésie doit être faite par tous, non par un » (Poésies), Eluard redéfinit les fonctions poétiques, affirmant que la poésie ne connaît pas de frontières, d’une part (c’est à dire qu’elle n’est limitée ni à « la boue », ni « aux parquets cirés ») et qu’il n’existe pas d’objet proprement poétisé, mais que le langage poétique doit « s’accommoder des vérités crues ».

Le poète, à l’affût, tout comme un autre, des obscures nouvelles du monde et de l’invraisemblable problème d’herbes, de cailloux, de saletés, de splendeur, qui s’étend sous ses pas, nous rendra les délices du langage le plus pur aussi bien celui de l’homme de la rue ou du sage, que celui de la femme, de l’enfant ou du fou. Si l’on voulait, il n’y aurait que des merveilles.

Paul Eluard, Les Sentiers et les routes de la poésie

Le poète et les peintres

Sensible à l’art plastique à une époque où les frontières entre les arts sont de plus en plus poreuses, les systèmes de correspondance et de synesthésie, initiés à la période symboliste, sont repris par les poètes et les artistes de la première moitié du XXe.

La recherche formelle de la poésie chez Eluard peut aussi trouver une incarnation dans les différents recueils qu’il fait paraître en collaboration avec les artistes de son temps. Il y a d’abord Les Malheurs des immortels, composé en 1922 en collaboration avec son ami Max Ernst. On y trouve les dessins de ce dernier auxquels répondent les courtes proses du poète. 

Puis, en 1936, c’est avec Pablo Picasso que Éluard publie Les Yeux fertiles. Les deux hommes s’admirent mutuellement et construisent une amitié solide autour d’un même regard porté sur la création artistique. Eluard écrit à Picasso : « Tu tiens la flamme entre tes doigts et tu peins comme un incendie ».

Paul Eluard et Man Ray, Les Mains libres, Gallimard, 1937
Paul Eluard et Man Ray, Les Mains libres, Gallimard, 1937

Enfin, c’est en 1937 qu’il publie Les Mains libres en collaboration avec le peintre et photographe américain Man Ray (il est l’auteur de la célèbre photographie Le Violon d’Ingres, 1924). 

Ces collaborations ne sont pas les seules. Paul Eluard a toujours cultivé des liens profonds avec les artistes, peintres et sculpteurs de son temps et leur a consacré de nombreux poèmes. Cette fusion du texte et de l’image s’accorde à cette déclaration du poète : « Voir et donner à voir ».  

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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